Dès le premier jour, Christine Fraser, architecte de terrains de golf, remet en question le statu quo par sa simple présence en tant que femme queer dans un jeu hétéronormatif dominé par les hommes. Elle perturbe l'espace de golf en posant une question simple : comment peut-elle rendre son sport tant aimé accessible à un plus grand nombre de personnes afin qu'elles puissent bénéficier du jeu et que le jeu puisse en bénéficier alors qu'il fait des progrès vers une plus grande diversité et inclusion ? Enfant sur les greens de ses grands-parents, le golf était un espace sûr utopique où elle pouvait rêver et explorer, mais au début de sa carrière compétitive, Christine a commencé à avoir l'impression de perdre le plaisir. Pour favoriser un espace sécuritaire pour tous les joueurs, elle devra faire les choses différemment, faire face à une résistance potentielle et défendre ses valeurs. Animée par sa passion pour le sport et son héritage entrepreneurial, elle se concentre maintenant entièrement sur un mouvement visant à faire de l'accessibilité physique et culturelle, de la gérance de l'environnement et de l'inclusivité le même cours.
Raconte-nous ton histoire. Qu’est-ce qui t’a amenée au golf ? Et qu’est-ce qui t’a fait aimer ce sport au point d’en faire une carrière comme architecte ?
J’ai grandi à Camden Braes, un terrain de golf familial aménagé par mes grands-parents dans les années 1970. Ma mère travaillait au Pro Shop, et mon frère et moi passions nos étés à jouer autour de l’étang, dans la forêt et sur les allées. C’est là que j’ai appris à jouer au golf, et que je suis tombée amoureuse de l’aménagement des parcours. Le terrain était mon safe space pendant ces années de jeunesse. L’une des choses que j’aime du golf, c’est sa capacité à faire tomber les barrières sociales. Quand on joue, on fait tous de notre mieux à travers les hauts et les bas du jeu, c’est comme une métaphore de la vie, et j’y trouve beaucoup d’inspiration.
Quand as-tu commencé à considérer le golf sous l’angle de l’accessibilité et de l’inclusivité ?
L’histoire du golf est marquée par la ségrégation raciale, sexuelle et classiste, dont les effets se font sentir encore aujourd’hui à des degrés divers. Pour bien des gens, ce sport n’offre encore que des possibilités limitées. C’est une chose dont je me suis rendu compte lorsque j’ai quitté la maison pour l’université. Camden était un terrain de golf public et abordable – et donc ouvert à des joueur·se·s de milieux économiques, de capacités et d’âges différents –, naïvement, je pensais que c’était comme ça partout. À Camden, j’étais entourée de femmes compétentes et respectées, ma grand-mère étant la propriétaire et ma mère fortement impliquée dans les décisions de tous les jours. À l’université, j’ai rencontré des coéquipières et des concurrentes qui étaient toutes des athlètes extraordinaires. Nous étions respectées pour notre talent et notre potentiel, mais tout cela a disparu quand j’ai obtenu mon diplôme et que je suis entrée dans l’industrie du golf. Le monde réel ne ressemblait en rien à Camden ou à mon équipe de golf féminine. Toutes les personnes ayant de l’autorité ou de l’influence étaient des hommes : entraîneurs, joueurs, propriétaires, caddies, membres de comités, membres de conseils d’administration... Il n’y avait pas de représentation, et il est devenu incroyablement évident que j’étais la seule femme dans la pièce.
Il est clair que ces premières prises de conscience ont façonné les valeurs que tu véhicules dans ton travail aujourd’hui. Tu parles en particulier d’une forme et d’une fonction socialement responsables. Comment ça se traduit dans tes idées et tes créations ?
En tant qu’architecte de terrain de golf, les premières valeurs auxquelles je pense sont l’inclusion et l’accessibilité. Une forme et une fonction socialement responsables supposent avant tout de créer avec l’intention de favoriser un sentiment de communauté et d’appartenance. Un terrain de golf doit être un lieu où des personnes d’origines diverses peuvent jouer à leur aise, se rencontrer, partager leurs expériences et nouer des relations pendant le jeu. L’accessibilité est donc une priorité : placement judicieux des tertres de départ, largeur des allées et des chemins, installations et équipements. Ça force aussi la réflexion sur la protection de l’environnement. On ne peut pas concevoir un parcours sans tenir compte de son impact écologique, sans intégrer des pratiques durables. J’ai la responsabilité de minimiser l’empreinte écologique du green et de préserver les habitats naturels et la biodiversité en utilisant des matériaux de construction écologiques, des systèmes d’irrigation efficaces, de la végétation indigène et des pratiques d’entretien saines. Et il y a un aspect que j’aime tout particulièrement : l’engagement et la collaboration auprès de la communauté. J’ai appris que la meilleure façon de faire est de solliciter activement l’avis des différentes parties prenantes, dont les golfeur·se·s, les résident·e·s et les défenseur·e·s de l’accessibilité. Il faut savoir tirer parti de la diversité des points de vue et s’engager dans un processus participatif. Il s’agit vraiment de concevoir avec, et non pour.
En quoi cela est-il lié à la volonté de donner la priorité à la portée plutôt qu’à l’intention ?
La portée plus que l’intention, c’est l’importance de se concentrer sur les résultats et les effets réels des décisions plutôt que sur les seules intentions qui les sous-tendent. Il y a tant d’exemples d’intentions louables qui ont malheureusement eu des conséquences néfastes. Les tertres avancés en sont un excellent exemple. Ils étaient censés créer un environnement plus inclusif pour les femmes, les jeunes, les personnes âgées et les débutant·e·s, mais ils ont été négligemment placés sur les côtés, souvent sous des arbres ou mal orientés vers les bois, ce qui a rendu l’expérience de golf vraiment désagréable en fin de compte. En participant activement à des conversations et en sollicitant des commentaires, nous pouvons obtenir des informations précieuses sur les incidences réelles de nos actions et faire des choix et des ajustements plus éclairés. La clé est d’écouter activement les perspectives et les expériences des gens pour mieux saisir la portée de nos décisions.
Dans cette optique, à quoi ressemble le succès pour toi ?
Je veux faire le bilan de ma carrière et pouvoir dire que j’ai fait partie du mouvement qui a redéfini la culture du golf. Je veux m’assurer que des personnes issues de divers groupes démographiques se sentent les bienvenues et aient la possibilité de jouer, et que mes conceptions contribuent à créer une communauté de golf dynamique.